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12/10/2011

Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer

 

 [Ante-Scriptum : Les inscriptions pour le swap de l'hiver sont toujours d'actualité, elles se font ici et sr swap.de.lhiver@gmail.com]

 


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Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer, Ed. de l'Olivier, 2003, 331p.

 

 

 

J'avais beau lorgner sur cet ovni depuis un moment, mon début de lecture était pas gagné. Alors avant toute chose, j'y vais de mon conseil avisé : ne lâchez pas ce livre même si le Broken English du narrateur vous donne envie de mourir parce que d'1 : il s'arrange, de 2. le bouquin n'est pas raconté exclusivement de son point de vue et de 3. ce livre est juste ébouriffant, nom d'un croissant au beurre.

Une situation de départ simple : Jonathan, jeune écrivain juif new-yorkais (tiens tiens) part en Ukraine à la recherche de ses origines et par la même occasion, de cette mystérieuse Augustine, sensée avoir sauvé son grand-père pendant la guerre.
Dans ce voyage, il est assisté d'Alex - le fameux narrateur au langage qui tue - qui parle anglais comme je parle le papou sous alcool, du grand-père d'Alex et de la chienne Samy Davis Junior Junior (oui, deux fois Junior)

Ca, c'est le départ parce que c'est en fait beaucoup, BEAUCOUP plus que ça. Il aurait été trop simple, en effet, de se limiter au récit d'une quête des origines - filon narratif vieux comme le monde. Jonathan Safran Foer se paye le luxe en prime de jouer du burlesque avec une imagination généalogique hallucinatoire où s'articule cette vieille dialectique du rire et du sacré ni vu ni connu j't'embrouille. Il se paye également le luxe de ne pas être caricatural sur la Shoah, de montrer l'humain dans toute sa complexité - et parfois, on fait de mauvaises choses alors qu'on est une bonne personne, et oui. Enfin, il se paye le luxe - le petit coquinou - de nous distiller quelques réflexions sur le roman à travers la correspondance d'Alex et de le renouveler avec cette brillante harmonie de bouffonnerie, d'Histoire, de méta-roman, d'expérimentation typographique (et là c'est rien comparé à son dernier opus) et d'autofiction.

Franchement, je suis décoiffée. Pour un premier roman, ce bonhomme en a sacrément sous le pied. Cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps de tomber sur un tel jeu des codes romanesques, sur un tel renouvellement de la forme allié à une tel maîtrise du fond.
Bref, vous l'aurez compris, Extrêmement fort et incroyablement près va tarder à y passer et je vous conseille vivement de faire pareil !

 

*

 

Pour cette fois, pas d'extrait. Un aperçu de l'ouvrage serait trop biaisé, si je vous cite Alex ou l'histoire familiale. Je vous laisserai donc satisfaire votre curiosité à la source ^^

26/09/2011

Stoner de John Williams

 

Bonne nouvelle pour mon porte-monnaie : La bibliothèque de mon trou paumé a ENFIN reçu les nouveautés de la rentrée littéraire.
Mauvaise nouvelle pour mon envie de me jeter dessus : Un seul prêt de nouveauté est autorisé à la fois. Non mais c'est quoi cette restriction? Je suis outrée. Et le pire, c'est que c'est la seule médiathèque à une cinquantaine de bornes à la ronde (oui j'habite VRAIMENT dans un trou paumé). Faut absolument que je trouve un moyen de soudoyer le personnel.

 

Bref.

Puisqu'il n'en fallait qu'un, j'ai choisi celui là :

 

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Stoner de John Williams, traduit par Anna Gavalda, Le Dilettante, Sept. 2011 (paru pour la première fois aux USA en 1965)

 

 

Faut-il préciser que ce n'est pas le bandeau évoquant la libre traduction d'Anna Gavalda qui m'a incité à le lire? Ce sont plutôt ces quelques mots du résumé : "Il se voue corps et âme à la littérature" [...] "Célébration d'une âme droite enchâssée dans un corps que la vie a très tôt voûté, voilà le récit d'une vie austère en apparence, ardente en secret".
Et là, il se passe de ces brefs instants de découvertes livresques où on se dit "Nom de Dieu, ce bouquin est écrit pour moi, il FAUT que je le lise".

Concrètement, le livre est autant (si ce n'est plus) un hommage à la vocation d'enseigner (et j'ai bien pensé à vous, chers amis profs) qu'à la littérature en elle-même à travers la vie de William Stoner. Fils de paysan que ses parents ont envoyé à Columbia suivre un cursus d'agriculture, il se découvre une passion pour les Lettres, s'y lance à corps perdu et devient professeur dans cette même université. Sa vie, pourtant, est loin d'être heureuse et apparaît même un peu ratée : professionnellement, il ne décollera jamais du poste de maître de conférence, se marie avec une femme qui ne l'aime pas et qui lui mène la vie sacrément dure, sa fille lui échappe, et il doit abandonner l'amour qu'il trouve enfin (parce qu'à cette époque, c'est du plus mauvais effet).

Je me suis demandée au fil des pages ce qu'il y avait de si extraordinaire et de si lumineux pour que tant d'écrivains anglo-saxons le considèrent comme leur livre emblématique. Jusqu'à ce que j'avale de plus en plus de pages à la fois et que je sois littéralement scotchée vers la fin, les mains un peu fébriles et toute émue comme une gamine en me disant "merde, ça peut pas être fini, y a encore des choses à vivre!"

C'est vrai, sa vie en apparence est un peu ratée. Il n'arrive pas à grand chose de concret ni de brillant. Il est de ses vies qui ne marquent pas les mémoires. Mais même s'il lui arrive de se carapaçonner dans une indifférence protectrice, William Stoner vit, malgré tout. Il voit quand même la beauté du monde dans quelques petits riens de la vie et dans ses cours qu'ils préparent et donnent avec passion. Il assume ses choix et finit par accepter avec une lumineuse sérénité la mort qui terrorise tous les autres. Malgré tout, il a vécu pleinement. "Il eut soudain, et ce fut saisissant, conscience de sa quiddité. Plus qu'une sensation, ce fut une évidence : il était lui, William Stoner, et il sut qui il avait été."
Voilà, tout est là.

 

*

 

Extraits (oui, plusieurs, parce que je suis incapable de choisir entre ces 3 sublimes morceaux):

 

"Bien qu'il fût censé apprendre des bases de grammaire et de composition écrite à un groupe de jeunes étudiants des plus hétérogènes qui soit, il était impatient et enthousiaste de s'atteler à cette mission qu'il abordait avec le plus grand sérieux. Il prépara ses cours pendant la semaine qui précédait la rentrée et ce premier travail de déchiffrage entrabâilla la porte du monde infini qui s'offrait à lui. Il comprenant le rôle de la grammaire et percevait comment, par sa logique même, elle permettait, en structurant un langage, de servir la pensée humaine. De même, en préparant de simples exercices de rédaction, il était frappé par le pouvoir des mots, par leur beauté, et avait hâte de se lancer enfin pour pouvoir partager toutes ces découvertes avec ses étudiants."

 

"Mais pendant ces semaines loin d'Edith, il lui arrivait, lors de ses cours, de se laisser emporter par son sujet et de s'y perdre si intensément qu'il en oubliait ses doutes, ses faiblesses, qui il était et même les jeunes gens assis devant lui. Oui, il lui arrivait d'être tellement pris par son enthousiasme qu'il en bégayait. Il se mettait à gesticuler et finissait par délaisser complètement ses notes. Au début, il fut décontenancé par ces emportements comme s'il craignait de s'être montré trop familier avec les auteurs ou les textes qu'il vénérait et finissait toujours par s'excuser auprès de ses élèves, mais quand ils commencèrent à venir le voir à la fin des cours et que leurs devoirs manifestèrent enfin quelques lueurs d'imagination ou la révélation d'un amour encore hésitant, cela l'encouragea à continuer de faire ce que personne ne lui avait jamais appris.
Cet amour de la littérature, de la langue, du verbe, tous ces grands mystères de l'esprit et du coeur qui jaillissaient soudain au détour d'une page, ces combinaisons mystérieuses et toujours surprenantes de lettres et de mots enchâssés là, dans la plus froide et la plus noire des encres, et pourtant si vivants, cette passion dont il s'était toujours défendu comme si elle était illicite et dangereuse, il commença à l'afficher, prudemment d'abord, ensuite avec un peu plus d'audace et enfin... fièrement."

 

"Quand il était très jeune, William Stoner pensait que l'amour était une sorte d'absolu auquel on avait accès si l'on avait de la chance. En vieillissant, il avait décidé que c'était plutôt la terre promise d'une fausse religion qu'il était de bon ton de considérer avec un septicisme amusé ou un mépris indulgent, voire une mélancolie un peu douloureuse. Mais maintenant qu'il était arrivé à mi-parcours, il commençait à comprendre que ce n'était ni une chimère ni un état de grâce, mais un acte humain, humblement humain, par lequel on devenait ce que l'on était. Une disposition de l'esprit, une manière d'être que l'intelligence, le coeur et la volonté ne cessaient de nuancer et de réinventer jour après jour."

 

 

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4/7

 

16/09/2011

Avant le silence des forêts de Lilyane Beauquel

 

Attention : coup de coeur (tadaaaam)

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Avant le silence des forêts de Lilyane Beauquel, Gallimard, 295p. 2011

 

 

Ce livre là est un gros coup de coeur que pourtant je n'ai pas dévoré. Je l'ai lu avec attention, dans la lenteur de ces lectures puissantes, ai goûté l'âpreté des faits et l'empathie du style et j'en suis époustouflée!

Le propos de l'ouvrage tient en peu de mots : Quatre jeunes bavarois, amis d'enfance, partent pour la guerre en 1915. A partir de là, c'est toute une variation sur le quotidien des tranchées ; les peurs, la faim, l'amitié malgré tout, la douleur. Plongé au coeur même de la boue, sans début ni fin, on vit avec eux des instants volés.

 

"Après les ventres transpercés, la terre et les cendres : le matin et sa limpidité. Je ne sais pas comment j'ai pu être dans cette inadvertance, faire comme chacun autour de moi : tuer et tuer encore."

 

Tout y est excellent. La perfection du style ne fait aucune concession à la cruauté du quotidien, simplement cela prend une autre couleur et devient oeuvre d'art. Lilyane Beauquel invente et joue des mots tout en usant de ces petits accents dix-neuvièmistes si savoureux. Rien n'est caricaturé, tout est dans l'instant et le vrai.
On vibre, on est là, on se prend des claques et on essaye d'avancer.

 

"Les lettres font mal, elles sont des punitions de fautes que nous n'avons pas commises."

"Cette rage, nous la hurlons dans l'aplat du terrain. Là, les linges de repos des grands blessés, les bandages qui défendent de se lever et laissent tranquilles. Nous n'avons plus ni bras ni jambes, nos ne pensons plus, le ventre fait un trou qui s'enfonce, nos yeux ne voient rien.
Nous sommes une erreur sur cette terre.
La journée a été calme, à la tombée du soir, la peur soudain. Le piétinement des soldats, le harassement. Tout ce qui point hors de la ligne de la tranchée est tiré, mis à bas, entassé à nos pieds. Sans victime, nous laissant éberlués.
Peu avant minuit, une marmite. Deux morts à l'angle nord de notre couloir."

 

C'est tout à la fois : une leçon de vie, une leçon de littérature. Merveille, merveille, merveille. Lilyane Beauquel dit de son style qu'il est une musique de mort. Je ne peux alors m'empêcher de penser à Baudelaire (tiens, tiens, comme c'est étrange et original) et à l'une de ces fleurs maudites à laquelle elle fait écho : "tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or".

 

 

 

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3/7